De l'eau et des cendres !
Depuis Puerto Varas, sur les bords du lac Llanquihue dans la Xe région du Chili, nous partons à la rencontre de l'eau, sous de nombreuses formes, de part et d'autre de la frontière Argentino-Chilienne. Ce n'est pas anodin si côté chilien la IXe et la Xe régions s'appellent « Los rios » et « Los Lagos » et si côté argentin, on parcourt la célèbre « route des 7 lacs » (qui serait plutôt au nombre de 10). Les bus s'arrêtant rarement en pleine nature pour laisser le temps à leurs passagers d'admirer la beauté des paysages, nous nous trouvons une location de Chevrolet Corsa classic qui consomme une quantité folle d'essence (Ah ! ces normes américaines…). On croirait donner à boire à un bus ! Pas économique, ni écologique tout ça...
Première étape en vue, San Carlos de Bariloche, la capitale de la « suisse argentine ». Mais pour rejoindre cette grosse ville au pied des montagnes, il nous faut parcourir quelques 400 km à travers les vallées qui traversent la cordillère et passer la frontière. Les routes ne sont pas toujours goudronnées par ici et l'on comprend vite l'intérêt de rouler en véhicule tout-terrain ! Mais on se sent vraiment proche de dame nature. L'homme n'a ici pas encore tout transformé. Les forêts et les lacs ont gardé ce petit aspect sauvage qui les rend parfois difficiles d'accès. Juste avant la frontière, nous sommes toujours sous une bonne couche nuageuse, comme depuis une bonne semaine maintenant. Cependant, nous sommes tout proche du volcan Puyehué, un de ces grands stratovolcans qui pullulent dans la région. Il est entré en éruption début 2011 et a éjecté dans l'air une quantité incroyable de cendres et de pierres volcaniques. Nous pouvons voir ici quelques prémices des conséquences de la retombée au sol de ces dernières. Une rivière venant d'un versant touché par les cendres charrie une eau grise ainsi que de nombreuses pierres ponces qui flottent à la surface et se déposent sur les berges. De l'autre côté du parc du Puyehué, un torrent dévale un versant non impacté et a gardé tout sa transparence.
Le spectacle le plus effrayant se situe quelques kilomètres plus loin. Entre le poste frontière chilien et celui d'argentine, la route parcourt un paysage de mort. Les troncs des arbres sont gris, les rares feuilles restantes sont jaunes et mortes. Des quantités de cendres ont noyé la végétation au sol et l'épaisseur de la couche se note sur le bord de la route qui a été dégagée.
Une fois redescendus côté argentin, nous nous trouvons dans la zone située directement sous les vents dominants venant du volcan. La petite station balnéaire chic de Villa la Angostura, semble à peine se remettre de cet épisode tragique. Des camions bennes font des aller-retour sans cesse pour évacuer la cendre du centre ville, mais ici aussi les bords de route et les toits sont très chargés. Cependant, les hauts arbres semblent ici reprendre doucement vie, malgré une couleur grisonnante de leur feuillage.
Arrivés à San Carlos de Bariloche, nous découvrons une ville plutôt sympathique aux allures de station de montagne avec ses boutiques spécialisées, ses restaurants de fondues et ses magasins de chocolats. Voilà pourquoi on la nomme la suisse argentine ! Il faut dire qu'une partie de la population qui a émigré ici en est originaire. D'ailleurs, non loin de là, un hameau se nomme « colonia suiza ». Bariloche est bien moins touchée par le volcan même si régulièrement une brume épaisse laisse se déposer sur les pare-brises une fine couche de cendres. Il faut dire, que l'éruption n'est pas encore finie. Bien sûr, il n'y a plus de gros champignon nuageux en permanence dans le ciel mais un fin filet de cendres est encore régulièrement expulsé. Il parcourt alors l'Argentine, d'ouest en est, souvent même jusqu'à la côte atlantique.
Ce qui est le plus intéressant ici, ce n'est bien-sûr pas la ville, mais le point de départ qu'elle constitue pour explorer la montagne et les lacs alentours. L'immense lac Nahuel Huapi, au bord duquel s'est installé la ville, possède de nombreux bras. Aussi, sa rive très accidentée recèle de multiples petites surprises (criques, plages, digues, enrochements, forêt les pieds dans l'eau…) que l'on découvre surtout sur la boucle de Llao Llao, à l'ouest du centre ville. La route sillonne entre les lacs (grands ou petits), les forêts et les monts. Le « cerro campanario » offre d'ailleurs une très belle vue sur cet environnement enchanteur. Outre un vent « à faire voler les chats » comme on dit en patagonie (spécialement à Punta Arenas, cf plus tard), on profite largement de ce mirador des cimes locales de la cordillère.
L'une de ces cimes, le « cerro Tronador », est un ancien volcan qui « trône » (si l'on ose dire) en maître d'une chaîne aux neiges éternelles qui marque la frontière avec le Chili. On ne peut l'approcher qu'en empruntant sur plusieurs heures une voie étroite et caillouteuse qui monte depuis la fameuse route 40 (qui va du nord au Sud de l'Argentine), et traverse le parc national du « Nuahuel Huapi ». Non loin du fond de la vallée qui s'en approche, on découvre le pied du glacier Ventisquero et son lac plein de gros glaçons. En retrait progressif depuis plusieurs années, la moraine que le glacier recouvrait laisse désormais échapper ses sédiments qui se déposent sur le dessus du glacier. On le nomme donc le glacier noir. Puis un autre vallon s'approche encore plus près de la montagne. On peut alors observer les glaciers plus en altitude et leur épaisse couche de neige se craquelant en de gros cubes avant de fondre petit à petit pour alimenter les multiples cascades qui dévalent les flancs de la montagne.
Toujours dans le parc Nahuel Huapi, nous allons rencontrer une autre cascade, aux eaux turquoises et transparentes : Los alerces. Si nous ne savions pas leur provenance glacière, nous aurions certainement voulu nous y jeter depuis les hauts rochers qui l'entourent !
Après deux bonnes journées de balade dans le coin de Bariloche, nous reprenons la route 40 vers le nord pour rejoindre San Martin de los Andes : c'est la fameuse route des 7 lacs. Nous nous rapprochons donc à nouveau de la zone sinistrée par le volcan, et pour cause... Les fameux lacs et leurs plages sont étrangement confondus, au moins d'un côté du lac, tant la quantité de pierres ponces qui leur est tombée dessus est importante. En effet, en s'approchant de la rive sous le vent, toutes les pierres ponces qui flottent sur l'eau s’amassent contre la plage, si bien qu'on ne sait plus exactement où se trouve le bord de l'eau et les jetées de bois, habituellement utilisées pour embarquer, paraissent aboutir encore sur terre...
Le « lago espejo » (lac miroir) ne reflète plus vraiment les montagnes depuis la plage... Heureusement, si les arbres sont encore grisonnants, la surface du lac dégagée des pierres ponces a gardé sa couleur turquoise typique de ces lacs de montagne. Et plus on s'échappe vers le nord, moins la cendre et les pierres sont présentes. Le vert chlorophylle devient plus soutenu et les routes ne sont plus bordées de « congères » grises.
Non loin de San Martin de los Andes, nous nous engageons dans la vallée « encantado » (enchantée). Beaucoup plus aride que la vallée des 7 lacs, et beaucoup moins parcourue également (car c'est encore de la piste...), elle dévoile des formations rocheuses spectaculaires. Ce sont des blocs de roche émergeant d'une vallée en érosion plus rapide. Selon leur silhouette, certains ont été « baptisés » : le biberon, la cathédrale ou le château. Au fond de la vallée sillonne une rivière encore une fois d'un magnifique bleu-vert.
La route nous emmène toujours plus au nord mais après notre pause à San Martin, au bord du lac Lacar, nous bifurquons vers le « paso internacional Mamuil Malal ». Et oui, une fois de plus, nous repassons la frontière argentino-chilienne, pour rejoindre Pucon, le pendant chilien de San Martin, c'est-à-dire une petite station de vacances bordant un joli lac. Sur la route nous croisons l'imposante présence du volcan Lanin (3776m). Encore un stratovolcan, endormi celui-là. Mais pour la première fois, nous apercevons clairement le sommet de l'un de ces cônes gigantesques qui s'élancent à l'assaut du ciel.
Une fois accomplies les formalités argentines, il nous faut engloutir notre pique-nique en « no man's land » afin de ne pas se faire attraper chez les chiliens avec deux bananes et du fromage ! A cette occasion, nous repérons l'une des fameuses bornes métalliques qui matérialisent la frontière et indique même le côté chilien du côté argentin.
Pucon et sa région est aussi riche en chutes d'eau spectaculaires et en rivières limpides. « Los ojos de Caburgua » est une zone où surgissent de multiples sources autour de puits et de cascades aux eaux si pures, que l'on voit encore les pièces que les chiliens y jettent ! Les cascades de « china » ou « del leon » sont impressionnantes par leur hauteur et leur force. Les embruns de la seconde nous atteignent facilement, pourtant nous ne pouvons l'approcher qu'à plusieurs dizaines de mètres. Malheureusement, à nouveau côté chilien, le ciel est bouché et nous ne pouvons apercevoir le volcan Villarrica, également connu dans la région pour être un lieu de pratique des sports d'hiver.
Moins montagneuse que le côté argentin, cette région fut très vite cultivée par les colons. Quelques témoins sont là pour rappeler les liens forts entre le Chili et le Royaume-Uni après l'indépendance du pays obtenue au début du XIXe siècle. En effet, la puissance anglaise ne s'intéressait pas qu'au salpêtre ou aux minerais dans le nord du pays. De nombreuses estancias étaient propriétés de firmes anglaises et pour développer leur productivité, de nombreux tracteurs à vapeurs fabriqués à Londres sont arrivés dans ces terres australes.
Notre dernière étape de cette boucle nous amène à l'océan pacifique, dans la ville de Valdivia. Elle porte le nom du conquistador espagnol qui a fondé la majorité des grandes villes chiliennes, jusque dans ces territoires aux portes de la Patagonie, longtemps défendus par les Mapuches. La ville possède quelques charmes, notamment celui d'être situé sur l'estuaire d'une large rivière aux multiples bras, formant ainsi une baie protégée des tempêtes de l'océan dit « pacifique ». La feria (marché) sur le port est peut-être l'attraction principale. De magnifiques étales de poissons et de légumes s'étendent à quelques mètres du quai et donc à quelques mètres des multiples pélicans, cormorans et lions de mer qui attendent tranquillement les restes de l'écaillage des fruits de mers et des poissons...
En traversant l'estuaire, on est en quelques minutes replongé dans le Chili patagonien. Celui qui est difficile d'accès, principalement rural et qui voit peu d'étrangers passer. La côte pacifique reste quasi sauvage et l'intérieur est encore cultivé à l'aide des charrues à bœufs. Le poisson est débarqué depuis les petites embarcations toutes jaunes vers midi et la nature dicte son rythme. Un petit retour dans le temps par les pistes de cailloux avant de retrouver un peu d'autoroute jusqu'à Puerto Varas et pouvoir enfin admirer l'Osorno et son chapeau blanc immaculé.